Les toiles et les aquarelles de Julien Gorgeart semblent témoigner du monde contemporain, celui dans lequel l’artiste et le regardeur évoluent. Il figure la banalité du quotidien peuplé de fêtes dans les salons, de virées nocturnes entre amis, de paysages urbains et de natures mortes intimes. Malgré les apparences hyperréalistes, Julien Gorgeart est un peintre du simulacre. Au pinceau, il traduit le monde réel afin d’ouvrir des perspectives narratives et cinématographiques. Gilles Deleuze écrit que « le simulacre est ce système où le différent se rapporte au différent par la différence elle-même. » (Différence et Répétition – 1968).
Avec une fidélité de type photographique, ses œuvres représentent des scènes de vies quotidiennes. Pourtant, la réalité n’y est qu’illusion, simulation et réactivation. Issues de sa propre expérience, de celles de ses proches ou d’inconnus, les images subissent un véritable travail de montage. Après avoir évolué dans l’univers de la vidéo, de la photographie et du théâtre, l’artiste se dirige finalement vers la peinture. Il est notamment séduit par sa temporalité, son exigence et la liberté qu’elle procure dans la composition et la couleur. Sur la toile et sur le papier il construit ses images en mixant d’autres images. Le réel est simulé. La « différence » dont parle Deleuze est difficile à identifier, la frontière entre la réalité et son fantasme est mince, voire quasi imperceptible.
Julien Gorgeart déploie une dimension cinématographique dans sa peinture en récréant des scènes où chaque détail est repensé : les décors, les couleurs, les lumières, les postures, les expressions, les textures. Le quotidien est interprété par l’association d’images provenant de sources différentes : les photographies de l’artiste, des images récoltées sur Internet ou encore des photogrammes de films. Les œuvres sont les résultats d’une adéquation de réels fragmentés et recomposés. Une femme, nue sous la douche, nous dévisage d’un regard blasé ; une voiture couverte d’un drap blanc erre à l’entrée d’une palmeraie ; des serviettes de bains sèchent dans le désordre d’une arrière cour ; une araignée aux longues pattes s’approche de pieds nus ; un homme ivre et joyeux trinque allongé sur le sol. Chaque scène peut être comprise comme une amorce narrative, un espace de projection où une histoire est en train de se jouer. L’imaginaire et le réel fusionnent pour donner naissance à un univers où la sensation du réel est insufflée. Le traitement des images et les choix chromatiques génèrent une ambivalence où cohabitent le drame et l’insouciance. Les figures humaines y sont vulnérables. Une main nous présente le Polaroid d’une femme aux seins dénudés : est-elle morte ? Qui la recherche ? Est-ce le souvenir d’une histoire passée ? Présente ? Parce que les ingrédients du mystère et du suspens sont mis à l’œuvre, tous les scénarios semblent possibles. En retenant des fragments de son expérience personnelle, de son histoire, Julien Gorgeart déroule lentement, avec le temps de la peinture, les images de sa propre histoire, de son propre film dont il sélectionne et reconstitue chaque détail. Les natures mortes côtoient des scènes marquées à la fois par une joie de vivre et une désinvolture, mais aussi par des caractéristiques énigmatiques et insaisissables. En combinant les histoires, les époques et les géographies, l’artiste produit une peinture où le quotidien est théâtralisé. Il explore une zone ténue où la réalité est finalement augmentée.
Texte de Julie Crenn








